Un Dîner Presque Parfait en Indonésie
« Pak Pidjay, si ça vous tente, je vous invite à dîner à la maison avec mon équipe ce soir » !
On est samedi après midi, la semaine a été bien remplie et voilà que le directeur de la restauration m’invite à venir dîner chez lui.
Je feins de feuilleter mon agenda (oui, juste pour donner l’impression que j’ai un emploi du temps super chargé à Malang)…
– Heuuu, ce soir ? (je feuillette…)
– Oui, après le boulot tu peux venir directement, ma femme prépare le repas…
Oh put*** ça tombe bien !!! Ce soir, justement : je n’ai rien de prévu ! (Oui, je sais, c’est incroyable… moi aussi ça m’a fait bizarre au début – non pas d’être invité – mais d’avoir des vendredis et des samedis soirs libres et surtout où je n’avais pas de soirées organisées 3 semaines à l’avance !)
– Ecoute, avec plaisir ! Lui répondis-je, trop content de faire quelque chose ce soir de découvrir comment se passe un diner traditionnel chez des Indonésiens… Oui, avec grand plaisir Pak Boegi (prononcez « Bougui », ce qui m’a fait immédiatement penser à la chanson chanté « Pas de Boogie-Woogie avant de faire vos prières du soir »… mais bizarrement il n’a pas compris, visiblement ils ne connaissent pas Eddie Mitchell ici) ! Que veux tu que je t’apporte ?
– Rien, juste toi… Galu est en cuisine : le diner sera presque parfait !
Ouaaaaah la classe !!!
Non pas que sa femme travaille en cuisine, pendant que nous trinquons dehors (ça me semble plutôt normal et suis rassuré que les bonnes pratiques traversent les mers, les cultures et les continents!)…
Mais quelle classe de réussir à intégrer le titre d’un article en plein milieu du texte, comme ça !
Donc ce petit prologue effectué… Selamat Sore (bonsoir), Ami Lecteur !!!
Ainsi, la journée terminée, un membre de l’équipe me transporte en mobylette depuis l’hôtel jusque chez notre hôte.
Ce qu’il y a de bien en mobylette, c’est qu’on passe facilement les embouteillages !
Il suffit seulement de bien s’accrocher derrière le conducteur lors des zigzags, de serrer les genoux pour éviter de se déboîter une jambe contre une voiture, de rappeler au conducteur de garder les 2 mains sur le guidon, d’éviter de lui parler, de fermer les yeux (parce qu’on n’a pas toujours de casque… oui, je sais, c’est pas bien, mais bon, au moins en fermant les yeux ça évite de faire le plein de poussière !) et surtout de prier toutes les divinités de toutes les religions le temps du trajet pour espérer que ça va passer (Oh put*** ça freiiiiineuuuu… ouh put***… un coup de guidon à droite, puis à gauche et… ouh put***… ah ben non, c’est bon on est passé !) !
L’autre avantage avec les mobylettes c’est qu’on a la tête au milieu des nuages… enfin, des nuages de pots d’échappement ! Tiens il y’a du brouillard d’un coup, on est à Londres ? Ah non, c’est juste le camion de devant qui démarre…
J’ai déjà écrit sur la complexité de la circulation ici… Mais il faut dire que rien n’est fait pour faciliter la tâche du conducteur et tout est fait pour le distraire ! Alors on trouve des panneaux, des annonces, (ça me rappelle un cours de marketing sur le comportement du consommateur et le moins qu’on puisse dire, c’est que le consommateur ici est exposé : de la pub partout, répétée tous les 10 mètres sur des kilomètres répétant le même logo, ou le même message et surtout des marques de cigarettes !), des informations, des voiles multicolores (un autre type de support de publicité, des publicités, mais aussi des magasins, des petits waroengs (restaurants, soit sous la tente, soit dans des cabanes), des vendeurs de fruits, des vendeurs de piscines gonflables et de tentes pour enfant ( !), des clowns (re-!), des vendeurs de cacahuètes, des vendeurs de bulles de savons, des joueurs-de-ukulele-pour-gagner-de-l’argent-aux-rares-feux-de-circulation, des vendeurs d’essence en bouteille, des réparateurs de pneus… Et la liste est longue !
Et sur la route, on trouve donc des mobylettes, des piétons et des mobylettes et des camions et des mobylettes et des vélos et des mobylettes…
Heureusement la vitesse est limitée à 50 km/h (de toutes façons, c’est difficile d’aller plus vite !), ça donne au moins l’impression que c’est moins dangereux…
Quoique le danger ici semble être notion toute relative ! Ainsi, l’autre jour un Indonésien faisait le plein d’essence, juste à côté de nous dans une station-service « Pertamina », avec une cigarette au bord des lèvres… Heuuu, si ça ne vous dérange pas, je vais aller voir autour ce qu’il y a d’intéressant, hein d’accord ? Ah ben tient, juste à côté de la station service il y a une tente où un Indonésien vend des brochettes de poulet cuites… sur un barbecue dont il attise des braises pétaradantes d’un mouvement de main frénétique !
Enfin arrivés miraculeusement à bon port, Boegie et sa femme nous gratifient de généreux sourires dès notre entrée dans leur maison.
A cet agréable accueil se rajoutent les regards surpris – et contents – des membres de l’équipe, déjà bien occupée à parler et de grignoter en buvant quelques verres (principalement de thé, de café ou d’une espèce de mixture locale à base de lait de coco, de gelée et de fraise dont ils se régalent…) sur le perron de la maison qui sert visiblement de pièce à vivre supplémentaire, et à côté duquel s’agitent 2-3 personnes autour d’un barbecue… Ouuuh c’est bon ça, y’a un vrai barbecue !!!
Certains sont d’ailleurs venus avec leurs conjoints et leurs nouveaux-nés… La soirée n’en est que plus animée !
A ce propos, c’est assez étonnant d’ailleurs de voir que les bébés ont l’air surpris de voir un blanc, au milieu des Indonésiens… Si certains tournent la tête dès que je m’approche (visiblement impressionnés par la couleur blanche de ma peau), d’autres en revanche sont assez curieux et attrapent de leurs petites mains différentes parties de mon visage, en particulier le nez, ce qui ne manque pas de faire marrer les parents (oui, la morphologie de mon appendice nasal est un peu différente et surtout plus apte à la préhension) !
Enfin bref, les présentations faites, ils me font faire un rapide tour du propriétaire : en bas, une grande pièce principale avec de gros canapés font fasse à une grosse télé (histoire de mettre en fond visuel et sonore une émission du style « L’Indonésie a un incroyable talent »… ou un truc du style… mais comme dans les bars : personne n’écoute !). Autour de cette pièce sont organisées la cuisine, les chambres et la salle de bain. Un escalier mène à l’étage ou peut loger une « Mba » (la bonne à domicile). Une petite pièce attire cependant mon attention : elle est aménagée en salle de prière, avec un tapis, un coran, un écriteau au mur sur lequel est écrit le nom Allah en calligraphie, ainsi qu’une robe de prière pour les femmes (à différents moments dans la soirée d’ailleurs quelques hommes et femmes s’y relaieront).
Quant à la cuisine, c’est une grande pièce dans laquelle la femme de Boegie et un membre de l’équipe s’activent à éplucher les légumes, les faire cuire sur des réchauds au gaz, saisir les cuisses de poulet dans des woks… ça s’agite, s’est plein de vie, ça parle, ça rigole, c’est rempli de sourires et surtout : ça sent bon !
Et un peu plus tard, un petit-détail-de-rien-du-tout, insignifiant lors de la visite, m’est apparu dès que l’on nous a appelé à table… C’est que justement : il n’y a pas de table ! Et y’a pas de chaise « hélas, c’est là qu’est l’os »…
Les plats sont disposés par terre, sur du papier journal et les assiettes empilées aux quatre coins.
J’en déduis donc assez aisément que l’on va manger par terre !
Et vu qu’il n’y a ni couteau, ni fourchette, ni cuillère (sauf pour se servir dans les plats), j’en déduis par là même occasion que l’on mange avec les doigts !
Au-delà des déductions, j’apprends aussi la posture à adopter : assis en tailleur ou en scribe, et surtout ne pas pointer les pieds vers la table. De plus, on ne peut pas se servir de la main gauche (elle est considérée comme impure… Il faut tout faire avec la droite), ce qui est franchement il faut bien l’avouer super pratique quand on est gaucher comme moi…
Bon, ils sont sympas et feront une exception, mais c’est bien parce que je suis un « Bulé » !
Le repas, composé de plats traditionnels est super bon, avec au choix (et la liste n’est pas exhaustive) : du poulet grillé aux épices, des « tempé » (sortes de gâteau au soja grillés), des poissons cuits au barbecue (je ne vous cache pas que je me suis fait un petit plaisir à donner un coup de main pour les faire cuire – laisse Anissa, le barbecue, c’est un boulot d’homme ! Il est où le pastis… ah non, mince !), des brochettes de boulettes de viande, des saucisses, de la salade et du concombre (au cas où), des légumes sautés en sauce, de la sauce « sambal » (et un mars ?… désolé pour la vanne… Donc la sauce sambal de janeiro – désolé, c’était plus fort que moi – est une sauce aux piments rouges, très rouges, donc épicée, très épicée) et bien sûr du riz !
C’était sincèrement hyper bon, tellement que je fais part de ma satisfaction à mon voisin :
– Enak (délicieux) lui lançais-je !
– Oui, c’est très bon, me dit il.
– Et en plus entre les poissons grillés au barbecue, les poulets marinés, les salades, le riz, les plats en sauce, les brochettes de viandes… il y a vraiment un choix dingue !
– Oui c’est vraiment très bon, un des meilleurs repas que j’ai mangé !
– Ah bon, à ce point ?
– Ben oui, parce que c’est gratuit ! La nourriture est quand même meilleure quand tu ne la paies pas…
Oui, c’est un point de vue comme un autre…
Et après avoir bien diné, le problème vient quand on se “lève de table” (enfin, si je puis dire). En effet, c’est là que je mesure le manque de sport, ou la force de l’âge, ou le manque de souplesse (ou un peu des trois à la fois), car c’est péniblement que je me relève et me “déplie” et surtout j’ai du mal à assurer les premiers pas… Ce qui ne manque pas, évidemment, de les faire marrer !
Et le repas fini, certains sont allés acheter une bouteille de Tequila, histoire de se faire des « shots » (avec citron vert et sel sur la paume de la main) à tour de rôle :
– Allez, vas-y Pak Pidjay, c’est ton tour !
– Ah ben d’accord, mais toi alors ?
– Ah non, je suis un bon garçon et un bon musulman : Je ne bois pas d’alcool !
– OK, je comprends… je n’insiste pas… Alors yalla !
Certes, je n’insiste pas, mais d’autres s’en chargent à ma place et finalement, « le bon garçon » boit son (enfin plutôt ses) verre(s) commeuuu les zo-autreuuu !
Et à ce rythme, la bouteille est rapidement finie… C’est pas grave, justement, ils ont prévu le coup et ils ont acheté une autre bouteille : on passe donc au vin rouge, lequel va subir exactement le même sort (enfin, le sel et le citron vert en moins…) !
Bon d’accord, le vin c’est du Shiraz Australien… Mais quand même, ça reste du vin avant tout et ça ne se boit pas en cul-sec… m*rde, c’est sacrilège !
Bon, rien à faire : ils l’ouvrent quand même et c’est reparti…
Un peu plus tard, alors qu’on a laissé nos hôtes coucher les 3 enfants, on se retrouve attablés autour d’un bar dans lequel un DJ enchaine des disques auxquels personnes ne semble prêter attention (c’est comme pour les groupes de musique finalement…) !
J’en reparle avec ma voisine :
– Dis moi, je ne comprends pas bien, je croyais qu’il était interdit de boire de l’alcool quand on est musulman…
– Oui me dit elle, en fait il y a 2 types de musulmans ici : ceux qui se considèrent comme les vrais, respectent les prières, ne boivent pas d’alcool, ne fument pas, ne mettent pas de bijoux (un homme ne portera pas de boucle d’oreille par exemple)… Mais attention, hein : ils ne sont pas extrémistes pour autant ! On n’aime pas les extrémistes ici (ses paroles contrastent étrangement avec l’actualité, les nouvelles révoltes qui secouent la Tunisie ou encore l’intervention de l’armée au Mali et la découverte des exactions faites…) . Et puis, il y a ceux qui font les prières de façon moins régulière, dont les femmes ne se voilent pas – d’autant que le voile n’est pas dans notre culture javanaise – et qui veulent vivre de façon plus moderne, me dit-elle avant de s’allumer une cigarette.
– Et toi alors, tu es chrétienne ou hindouiste, pour boire et fumer ?
– Ah non, je suis de la deuxième catégorie des musulmans : je crois, je prie, mais je vis au présent…
Et dans les équipes, c’est un vrai melting pot de croyances : presque toutes les religions sont représentées (mais je ne sais pas si elles ont aussi des courants “alternatifs”), dont bien sûr les 2 types de Musulmans décrits et il faut avouer qu’à les côtoyer au quotidien, je peux confirmer qu’ils sont vraiment accueillants, – cools j’ai même envie de dire – amusants, généreux, prêts à aider et tolérants même si, selon les dires de certains qui résident en Indonésie depuis plusieurs années, on voit de plus en plus de femmes voilées… Et comme disait l’autre : ce n’est pas vraiment parce qu’il fait froid !
L’Indonésie est décidément un pays aussi surprenant qu’accueillant, dont le comportement des habitants est bien loin de certaines idées préconçues. Et pour reprendre les propos de “Madame Mère”, Maria Letizia Bonaparte : “pourvu que ça dure” !
Et sur ce : à bientôt pour la suite…
5 commentaires
sacré Pidjay! tu m’as bien fat marrer… entre ta course poursuite en mobylette, ta tambouille sur le sol main droite et ton dépliage sans mettre les pieds dans le plat!
Profites bien!!
PS: il neige ici!!
Un diner parfait !
Excellent l’article. Et j’adore la dernière photo, la lumière est vraiment très sympa. C’est des montagnes qu’on voit dans le fond ?
Merci Xav ! Pour la photo, elle a été prise avec l’iPhone… Couleurs naturelles donc ! Et oui, c’est un des 3 volcans qui entourent Malang… Vous venez randonner un de ces 4 ? 🙂
Je lis tes histoires et je te reconnais dans toutes tes phrases c’est assez incroyable. J’ai envie de liker tes commentaires ou de répondre c’est énervant des fois haha!! Vivement que tu revienne!