L’Appel de la Forêt Canadienne – Chapitre 2
Avis au lecteur : Tout comme pour le chapitre précédent, cet article n’a clairement rien à voir avec le roman éponyme de Jack London, mais plutôt mon séjour de 1 mois au fin fond de la forêt canadienne, perdu dans les Appalaches… Ceci étant dit :
Bonjour mon « t’cheum » Lecteur,
Depuis l’ouverture de la chasse, la pourvoirie (Baronnie de Kamouraska) ne désemplit pas : les groupes, parmi lesquels de nombreux habitués des lieux, se succèdent et viennent de loin, plein de bouteilles de bières d’espoirs de faire tomber le plus gros orignal.
Arrivée des Chasseurs dans la forêt Canadienne
La population des chasseurs est très étrangement majoritairement alcoolique masculine…
Ce sont des groupes « de t’cheums » (des amis), ou de pères avec leurs fils, de toutes nationalités (Québécois, Grecs, Américains), et de tous âges (la 50aine bien entamée…).
Véhiculés dans d’énormes « pick-ups » ils arrivent avec des remorques chargées de buggys (pour rouler sur les sentiers) aux lignes futuristes et tout un attirail à faire pâlir une armée sur un front de guerre.
Le plateau arrière du pick-up déborde de sacs – avec (quelques) vêtements et linges pour la semaine – de la nourriture dans des glacières (beaucoup), des cannettes de soda bières (par packs de 50 au moins), des bouteilles d’eau de vin (beaucoup aussi), des GPS, des arbalètes, des arcs, des flèches aux lames affûtées, des fusils et des balles-plus-longues-qu’un-index !
Quand aux journées, elles se déroulent au rythme des chasseurs : les groupes partent très très très très très tôt le matin en forêt – 4h du matin – afin surprendre l’orignal dès son réveil !
A mon sens, c’est plutôt une bonne stratégie, car si l’orignal est aussi réveillé et alerte que moi quand je tombe quitte mon lit à 4 ou 5 heures du matin (Si-si, ça m’est arrivé de me lever à cette heure-ci…) – les cheveux hirsutes, l’air hagard et la démarche si peu assurée que mon petit doigt de pied a en général 1 chance sur 2 de venir faire connaissance avec l’angle saillant d’un mur, déclenchant un juron une douleur qui réveille pour de bon – ils ont effectivement toutes les chances d’en avoir un !
Ils reviennent ensuite en fin de matinée pour déjeuner et faire une sieste, avant de repartir en forêt jusqu’à la tombée de la nuit… Les bois sont donc bien animés le soir venu !
Et afin de participer à la liesse générale, les groupes nous invitent régulièrement à partager leur diner ; c’est donc une belle occasion de :
> bien dîner, en particulier avec un groupe de Grecs qui cuisinent magnifiquement bien (je garde un souvenir ému de leurs fruits de mer à l’armoricaine… Et c’est tellement insolite de manger ce plat en pleine forêt),
> comprendre que la langue française a drôlement évolué en traversant l’Atlantique,
> boire du bon vin (avec modération bien sûr…………………….……),
> apprendre un peu plus de vocabulaire québécois,
> boire du bon vin (avec modéra… ah oui, je l’ai déjà écrit !),
> parfois ne rien comprendre à ce qui se dit, alors que les mots semblent français
> courir régulièrement sur les chemins de cailloux (et pourtant j’avais apporté mes chaussures !)
> boire du bon vin (avec modé… Ah non trop tard… Hey, ça y est : je comprends le Québécois !!!)
> apprécier la poésie du groupe Québecois « Les Cowboys Fringants« , au cours d’un apéritif qui a quelque peu dérapé…
Dérapé... En effet, c’est le mot car…
De l’influence de la forêt Canadienne sur les discussions philosophico-québecoises
Une fin d’après-midi, à la faveur du soleil déclinant sur la cime des sapins, au « boute » du lac, et comme il commençait à faire un peu « fraite icitte », à l’approche de la « nuite », nous avons allumé un petit feu dehors, Fulbert s’assurant que nos verres gardaient toujours un niveau « correc’ » de vin !
Siloé, un ami du père de Fulbert, me raconte qu’il avait été à Paris et qu’il avait « capoté » !
– Ah bon, vous n’avez pas aimé ?
– Ah si, tu rigoles (le tutoiement est presque de rigueur au Quebec… Y compris dans les commerces ou le « tu » se glisse rapidement dans la conversation…), j’ai vraiment capoté !
– Aaaaaah, tu as adoré, c’est ça ? je croyais que « capoter », c’était pour dire que ça ne t’avait pas plu…
– Oui c’est ça : j’ai adoré ! Avec ma femme et les enfants, on avait pris un « Neÿrbiainebi » (Airbnb…) dans le centre, à proximité de l’Opéra Garnier ! Notre position étzait pos pire bonne. J’dirais même plutôt écoeurante !
– Ah bon, c’était pas bien ?
– Au contraire, c’tait supair ! Mais les Parisiens y sont « plate » ! Yenavait même une qui comprenaient pas ce qu’j’disais ! J’avais d’l’a misère, côlice!
– Ah bon ?
– Ouais, c’est pas des « menteries » ! J’ai été voir si « yévé » des places pour l’bus rouge des touriss’, qui fait le tours des monuments. Bah la vendeuse alle m’répondait en n’Anglais, genre « alle » comprenait pas mon français ! ça ce peut tu ça ?
– Bah heuuuuuuuuu….…
– Alors, j’ai répété, plus lentement, et elle m’a encore répondu en anglais, côlice !! Du coup, j’l’ai jasé avec un tabarnak d’accent Québécois !! Astie qu’j’ai eu du fun ! Ah ah ah !! Mais j’tais tanné d’son comport’ment, lô !
– Et elle était jolie au moins la Parisienne ?
– Même pôs ! Elle était plate et vieille…
– Ah mince, parce qu’elles ont du style normalement les Parisiennes.
– Bé pôs elle, lô ! C’tait t’une côlisse de triple vieille ! Ah ah ah !! Tiens, Fulbert, ressers-lui du vin ; N’en veux-tu ?
– … Heu, ça va, mon verre est pas vide…
– Come on, fais pas ta moumoune ! Fulbert, « re-fill » lô ! « Eniouais », Paris c’est pâs pire, j’te niaise pas : j’ai adoré, comme tu dis !
(Alors, de mon expérience, c’est après le 3ème verre qu’il devient difficile de dire non. Et si mes comptes sont bons, là j’en suis déjà rendu au 4ème…)
– Bah la prochaine fois, faut venir à Bordeaux, on ira boire du bon vin… Allez, Santé (mon verre re-rempli dressé vers le ciel)!
– Cheers… Hey, Bonne idée ! On « peut-tu vous » appeler ? Ou bien tu nous laisses-tu ton courriel ! ça se peut-tu qu’tu nous organises un séjour avec nous autres ? Côlice, on risque d’avoir du fun, tabarnak ! Ah ah ah1 !
Depuis l’apéritif jusqu’au dîner, ainsi se passe la soirée entre passage de plats, rigolades et nombreuses quelques descentes de verres de vin ! Car à défaut d’avoir eu des animaux dans la mire de leur fusils, ils ont descendus de nombreuses bouteilles de vin (et de bière) !
Les Cowboys fringants dans la forêt Canadienne
La bonne ambiance du repas s’accompagne de musiques ; les clients me font découvrir des chansons du groupe « Les Cowboys Fringants », en particulier 2 titres que Siloé considère comme de la pure poésie québécoise : « Les Etoiles filantes » et « Les Horloges »…
Et en effet, à les écouter plus attentivement, derrière les mélodies aux notes doucement mélancoliques, les paroles aux accents teintés de sirop d’érable traduisent, avec nostalgie, une réflexion sur le temps qui passe, sur les illusions qui s’envolent à mesure que les réalités du quotidien nous rattrapent, faisant que la vie semble se résumer à « travailler, faire d’son mieux, en arracher, s’en sortir et espérer être heureux, après avoir existé pour gagner du temps, on s’dira que l’on était finalement, Qu’des étoiles filantes« .
Lancés dans notre course folle contre le temps, à jongler entre les aléas qui viennent perturber la routine quotidienne, nous réalisons bien tardivement que soudain, « le temps vient à manquer, si jadis il n’était pas un facteur, ce dernier devient précieux et compté et, au milieu de cette vaine poursuite il se dit que la vie passe trop vite« . Car les aiguilles de l’horloge « nous rattrapent laissant dans leur sillage, les rêves que l’on a pas réalisés, qui s’essoufflent à la façon d’un mirage cédant le pas à la réalité… C’est la vie…«
(Pour vous faire votre idée, je vous laisse les liens vers les chansons en fin d’article3. Pour information : il n’est pas nécessaire de boire de l’alcool pour les apprécier, ni d’être au Québec non plus)…
Et après avoir chanté sur les refrains des chansons en levant et descendant des verres (« tabarnak, c’est d’la pure poésie… »), enchainé les discussions, les boissons et surtout une nuit bien trop courte (effectivement, le temps passe vite, comme dans les chansons), je me réveille bizarrement avec l’impression d’avoir un gros tronc d’érable dans la tête !
Et avant de partir, les 3 chasseurs viennent nous saluer :
– ça va, pas trop mal à la tête ?
– Non, non ça va… Et vous ?
– C’est pas pire ! Bon, Encore Désolé pour nos folleries d’hier soir !
– Au contraire, « j’ai eu du fun », comme vous dites ! Et puis, on est résistant, nous les Français, contrairement aux québécois !
– Ah ah ah ! Mais « Farm’ta gueule » ! J’ai un crisse de mal de crâne, lô ! Bon allez, on fait un dernier « check » et on « fly » !
Des Rencontres étonnantes et Surprenantes dans la forêt Canadienne
Au travers des personnes rencontrées, force est de constater que le légendaire accueil Québécois n’est pas galvaudé ; ils parlent et tutoient facilement, aiment partager un repas accompagné de bons verres de vins et surtout adorent rigoler !
– Dis moi Théolien, tous les Québécois sont comme ça ?
– Non, « pantoute »… Mais c’est vrai qu’on dziscute fâcilement avec tzout le monde nous autres, lô.
– En tous cas, c’est agréable de voir que les gens sont toujours accueillants et souriants… y compris dans les taxis et les commerces !
– Oui, c’est vrai qu’on est un peu « moumoune » lô : on peut s’faire marcher sur un pied et au lieu d’poartir en Tabarnak, ou de niaiser, bah on va jaser et caler des bières2.
– Ah oui… C’est une façon particulièrement intéressante de faire connaissance, ou d’éviter de régler des conflits !
En fait, chaque rencontre que l’on fait est riche en enseignements : sur l’autre, ses idées, ses points de vue et sa culture bien sûr, mais aussi sur soi-même.
Qu’une personne témoigne d’une amitié sincère, apporte à sa façon une dose de bonheur, par sa simple présence ou de façon désintéressée (un « random act of kindness » comme disent les anglo-saxons), aide à sortir d’une mauvaise mauvaise situation, soit présente dans les moments joyeux comme dans les coups durs, ou si à contrario elle se révèle être plus toxique pour soi (si-si, ça existe…), « rencontrer l’autre, c’est aller vers un autre monde, sortir de soi, de ses repères, de ses carapaces et de ses armures, sortir des rôles que nous jouons. » (Alexandre Jollien)…
Enfin, pour peu que l’on accepte d’apprendre des autres bien sûr, d’avoir le courage de challenger nos certitudes, de sortir de ses dogmatismes et nos idées reçues.
En effet, c’est « le courage de nos décisions qui se veut le moteur de nos actions, c’est lui qui nous pousse à franchir le pont et le fossé de la résignation. Mais qu’on soit immobile ou en mouvement, une chose est sûre rien n’arrête le temps » !
Et fort de ces réflexions sur les belles rencontres humaines et sur le temps qui passe, « les idéaux qui se cassent, la vie s’accroche et renaît, comme les printemps reviennent dans une bouffée d’air frais qui apaise les coeurs en peine » au cours de diners un peu arrosés, je constate que l’article touche à sa fin, et pour ceux qui sont restés jusqu’au bout, je vous exprime toute ma gratitude d’avoir été le temps de cette lecture, mon étoile filante (tiens, je vais faire un voeu !)…
1,2 : Même si la mémoire de l’auteur a pu un peu faire défaut lors de la rédaction de ce billet – compte tenu des verres bus avec modération et du fait que cet article a été écrit quelques semaines après le séjour – ces discussions ont bien eu lieu (pour ceux qui douteraient de la véracité des propos)… Et toutes les expressions existent bien !
3 : Comme promis, les liens des chansons des Cowboys Fringants :
3 commentaires
Quelques citations bien choisies, quelques mots raturés qui forcent le sourire et on a le sentiment d’avoir un verre à la main, comme si on y était !
Bonjour mon p’tit Pidjay !
En te lisant, j’étais parmi vous. Les soirées avec (quelques) verres de vin, près du poêle à bois, à parler fort, raconter des anecdotes et surtout garder sa bonne humeur et chanter.
Merci pour les Cowboys fringants… Y’avait longtemps que je ne les avais pas écoutés. 😉
Asteur, t’es prêt à écouter du plus lourd (et moins poétique) :
Lucille- Les Trois Accords MMV – YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=YQ4Fb7pm4ws
Bises
J’adore !!! je suis fan tabernak ! A quand le prochain article ou le one man show ? C’est drôle, frais, humain, touchant, sensible, honnête. Je suis FAN ! A bientôt PiJay 😉