Suite (et fin…) du congé solidaire au Criobe à Moorea
Ia Orana Ami Lecteur.
Je confirme que travailler sous le soleil, dans une eau bleue, transparente, à 27°, avec des gens sympas et intéressants, dans un décors de carte postale, ce n’est pas tous les jours facile…
Résigné, mais non point fataliste, je prends donc sur moi et accepte tant bien que mal ma condition de volontaire en Polynésie, au centre de recherche du CRIOBE à Moorea !
Le CRIOBE est l’acronyme pour Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement. Antenne du CNRS et de l’université de Perpignan, il est spécialisé sur l’étude des écosystèmes coralliens.
Après une première semaine riche, la deuxième semaine du congé solidaire – non moins intéressante – s’est passée, comme je le craignais, bien trop rapidement.
Retour sur les derniers évènements…
Ici, dans les îles polynésiennes et à Moorea en particulier, les gens n’ont pas le même rapport que nous avec le temps et les distances.
En effet, le temps semble passer beaucoup plus vite qu’en métropole, même au travail…
Et lorsque l’on s’arrête pour faire un achat, il ne faut pas s’étonner si la conversation dévie rapidement autour de sujets qui n’ont strictement aucun rapport avec la discussion initiale ; du coup pour une course qui aurait normalement pris 10 minutes (hésitation comprise), ça peut déraper un peu pour durer 30-40 minutes…
– Ia orana, je voudrais acheter des raccords pour des tuyaux en PVC diamètre 20mm et des tôles ondulées de 8 mètres de long, sur 2 mètres de large .
– Ia olrana. Alolrs j’ai 2 lréfélrences poulr les tôles. T’as une plréfélrence (ils roulent les “R” de façon savoureuse et accentuent les voyelles… quand au tutoiement, il est de rigueur ici).
– Heu, je sais pas, c’est pour des travaux au Criobe.
– Ah, c’est poulr le Clriobe, alolrs ? ça doit êtlre du tlrois millimètlres, comme la delrnièlre fois, hein. Mais au fait, tu fais quoi au Clriobe, t’es nouveau ?
– Heu non, je suis volontaire, je viens de France pour travailler 2 semaines.
– Ah bon ? t’es Flrani hein ? C’est dommage, ça, de lrester peu de temps, alolrs que tu viens d’aussi loin. Je suis déjà allé en Flrance, c’était poulr mon selrvice militailre. Mais il fait flroid là bas, hein et puis les gens, ils sont pas toujoulrs gentils là bas, enfin, sulrtout à Palris, là, ailleulrs ça va quand même, hein. Et sinon, ça te plait la Polynésie ? C’est la plremièlre fois que tu viens ?
…
A propos des distances, il faut savoir que les milliers d’îles qui constituent la Polynésie française couvrent une surface similaire à celle de l’Europe… et pourtant quand on est sur l’île, il parait que tout est “à côté” :
– Heu, c’est encore loin le col ?
– Ha ben non, c’est “à côté”, tu vois c’est juste après le cocotier, là…
Sauf que le dit cocotier est à 50 minutes de marche, que le chemin est loin d’être droit et pour couronner le tout, il n’y en a pas qu’un cocotier sur les îles ici !
La météo a quelque peu changé dans les derniers jours : après 12 jours de beau temps quasi-ininterrompu, les nuages se sont réappropriés le ciel et il pleut tous les jours un peu plus (surtout la nuit et le matin)… Du coup, avec des températures qui dépassent les 30°, l’atmosphère est devenue assez moite et étouffante : on sent qu’on attaque la saison humide, propice aux cyclones et tempêtes tropicales (d’ailleurs, quelques mois après mon séjour, le cyclone Oli frappera durement la Polynésie, finissant d’éradiquer les quelques coraux encore en vie).
La mission au sein du Criobe se passe toujours aussi bien : “je sers la science et c’est ma joie” (comme disait un disciple de Léonard, la BD éponyme…), même si certains volontaires font leur affaires de leur côté (en réalité qu’une seule volontaire), sans mettre au courant les autres (ce qui était pressenti en première semaine s’est confirmé lors de la deuxième).
Les occasions de sortir le soir sont assez rares (l’île n’est pas non plus un haut lieu d’activité nocturne) et nous restons entre volontaires, les chercheurs rentrant chez eux, ce qui fait qu’on s’y sent parfois un peu “prisonnier”. Il faut dire que l’activité du centre est plus calme à cette période.
Mais les anecdotes du directeur du centre (passionnantes, et je dis ça sans flagornerie) et le temps passé avec les chercheurs compense nettement ! Et les journées tellement bien remplies que le soir on ne fait pas de vieux os en général.
Le réveil est toujours aussi matinal : c’est marrant, il y a plein de poules et de coqs en liberté ici et ce co***rd chante n’importe quand, même quand le soleil n’est pas encore levé, mais aussi quand le soleil est levé depuis déjà 2h ! Mais pas pile au moment où le soleil se lève… je crois qu’on m’a menti étant plus jeune…
Je continue à apprendre pleins de trucs utiles : J’ai en effet découvert que les lotions anti-moustiques vendues en France sont absolument inefficaces contre les moustiques ici (je me demande si ça ne les attire pas plutôt).
Autres découvertes qui changent la vie :
- les cafards, ça bouche les canalisations des machines à laver la vaisselle ;
- la tong fait une une trace blanche en V à la base des orteils du pied ;
- les crabes des cocotiers sortent la nuit et font claquer leurs pinces pour intimider le passant (ça surprend, quand on se ballade la nuit, sans éclairage).
- Une autre observation: les chiens ici sont adeptes de la sieste mais se délectent de grillons qui envahissent les salles éclairées (ça a un crissement hyper aiguë ces animaux là…) !
- Dans hémisphère sud, on ne voit pas l’étoile du nord, et la constellation caractéristique est la croix du sud.
- Et enfin : ici, l’eau s’écoule dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (soit dans le sens opposé de l’hémisphère nord, les forces de Coriolis s’appliquant différemment… par contre je me demande : quand on est pile sur l’équateur, comment s’écoule l’eau ?)
Voilà…
Sinon, cette semaine, j’ai eu le bonheur de patauger dans l’eau de la rivière qui se déverse au fond de la baie d’Opunohu, car un chercheur étudie la reproduction des anguilles. Nous avons donc posé un filet avec de l’eau jusqu’au nombril, à essayer d’enfoncer des pieux à l’aide d’une masse (trop simple, surtout quand le pieu est sous l’eau… on est éclaboussé et on manque le coup 8 fois sur 10 !), dans une eau saumâtre, plus maronnasse que transparente et dans laquelle nage tout un tas de bestioles, plus ou moins grosses (rhaaaa, j’ai senti une anguille passer entre mes jambes !) et larves diverses toutes plus petites les unes que les autres et totalement translucides. C’est en effet ce que j’ai pu constater le lendemain,
car nous sommes allés récupérer la pêche : larves de crevettes (des 100aines), larves d’anguilles (1 !) et larves de gobies (des 10 aines)… ça donne envie de ne pas s’y attarder et encore moins de s’y baigner !
A propos de baignade, nous avons fait quelques plongées sympas en début de semaine : sur 50 m de long et à différentes profondeurs (18m, 12m et 6m), nous avons déroulé des filins, afin de faire des comptages d’acanthasters, de trocats et de burgots (des gros gastéropodes, pas le juge d’Outreau…). Ces numérations, nous les avons fait d’abord de jour et ensuite… de nuit !
A la faveur de l’apparition d’un fin croissant lumineux, annonçant une prochaine nouvelle lune, dans un ciel faiblement éclairé par les milliers d’étoiles polynésiennes, nous avons pris le bateau et longé le récif. Le noir du ciel se confond avec le noir de la mer et il n’est pas aisé de naviguer le long des balises. Une fois sur site, après avoir évité les baleines et les dauphins, les équipements enfilé et le matériel réparti entre plongeurs, nous descendons dans le grand noir (à 21h, l’eau n’est plus bleue depuis bien longtemps), parfois éclairé par de petits points lumineux furtifs : le plancton phosphorescent. Ce qui est amusant, c’est que c’est la nuit que remontent des profondeurs les “gros” prédateurs de la chaîne alimentaire des récifs coralliens… ainsi, en plein comptage, apparaît dans le faisceau de mon phare de plongée (pas en plein faisceau, mais juste sur les côtés, là où la lumière est moins forte) : un œil curieux, des dents acérées, puis un aileron le tout donnant forme à un superbe requin pointe blanche de récif ! Autant en plein jour, ce n’est pas inquiétant, autant de nuit, c’est super flippant (surtout qu’en journée je n’en avais vu aucun et que là, je ne m’y attendais pas du tout !) !
Sinon, nous donnons aussi des coups de main pour l’entretien de la station. Soit pour mettre en place des revêtements étanches sur les toitures (ah bon, on peut être en tongs sur un toit ???), soit pour ranger et re-classer un bon millier de coquilles d’huîtres perlières (presqu’aussi coupantes que des huîtres normales… non en fait : aussi coupantes !). Il a donc fallu les enlever d’une vieille armoire, au fond d’un local bien moisi, dans lequel avaient élus domiciles des lézards (et certainement des rats à un moment), sortir l’armoire, la nettoyer, la déplacer et tout remettre en place. A deux, nous avons mis presqu’une journée : il y avait un sacré bazar là dedans (quelle idée de ranger un tracteur-tondeuse, avec les 4 pneus déchirés, entre la porte et l’armoire…) et plein de références. A croire que les scientifiques n’aiment pas ranger (éh, je suis un vrai scientifique alors…). Du coup, le directeur nous a offert à chacun une petite nacre et une petite perle pour l’accompagner !
Une autre activité est le nettoyage des aquariums ! Alors comment nettoyer des bacs géants quand ils sont encore occupés par des petits poissons ? Et bien il faut aspirer les excréments des poissons. Et pour cela, point d’aspirateur sophistiqué : non, non non… On met un tuyau dans l’eau, on aspire avec la bouche et quand l’eau arrive, on évacue simplement et on racle le fond…Bien sur, il faut veiller à ne pas aspirer les poissons. Et bien sûr, lorsqu’on amorce l’aspiration, on avale toujours une petite quantité d’eau salée et…”enrichie” ! Y’a pas à dire : c’est pas facile comme boulot, scientifique !
Et il y a toujours le filet à mettre en place le soir, sur le récif, avec d’un côté le lagon et ses 10 mètres de fond et de l’autre la fosse océanique et ses 2000 mètres de profondeur et sur lequel viennent s’écraser de géantes vagues venues du large… ce qui le rend plutôt glissant et coupant (et les plaies, dans l’eau de mer, elles cicatrisent mal, très mal et en plus ça pique !).
Ne reculant devant rien et surtout prêt à tous les sacrifices pour faire avancer la science, j’ai pu vérifier que le corail est pire qu’une coquille d’huître et réalise des entailles superbement irrégulières (le fin du fin, c’est en plus de s’être entaillé, de se frotter sur du corail de feu… alors là, non seulement on pisse le sang, mais en plus la peau brûle ça race !). Les plus belles plaies sont celles qui arrivent de façon insidieuse : alors qu’on approche du récif, et pour éviter qu’il ne s’éventre dessus, on est obligé d’arrêter le moteur, de se mettre à l’eau et de tirer le bateau entre les obstacles naturels immergés ! On marche donc à vue, avec de l’eau jusqu’au torse et une visibilité réduite (pour info : les patates de corail sont sous l’eau). C’est donc le meilleur moment pour se cogner, se re-cogner et se re-re-cogner contre les barrières coralliennes et de s’exploser aussi bien les bras que les jambes et même le torse (pas de jaloux comme ça). Et dire qu’une goutte de sang, bien que diluée dans des litres d’eau, est perçue à plusieurs centaines de mètres par les requins, pourvu que… ahhh, c’est quoi ça à l’horizon ? je te jure, j’ai vu un triangle noir sur la surface de l’eau ! Ah non, fausse alerte, juste une vague qui fait apparaître un montant du filet… ça y est, on l’a trouvé !
En effet, le filet n’est pas facile à trouver quand il n’est pas en fonction. Sa structure est déposée sur le récif pour éviter qu’il ne s’abîme. Une fois monté, il ressemble à des cages de football dans lequel les vagues viennent s’engouffrer qui se prolonge par un piège pour capturer les poissons. Le problème est qu’il faut veiller à ne pas trop le tendre (ce n’est pas facile, compte tenu de la force des vagues). Cependant, le plus compliqué est de fixer le piège à poisson, une fois la structure tendue : il faut, en apnée, fixer le tube au filet et le tendre, tout en étant balancé par le va-et-vient des vagues, sans trop s’écraser sur le récif sous peine de bien s’entailler !
Mais quel bonheur de longer la côte en bateau, le soir quand tout est calme, entre les eaux turquoises du lagon (tient, une raie aigle qui passe sous le bateau…) et le paysage acéré de l’île volcanique dont les pics noirs, recouverts d’une riche végétation, prennent des formes adoucies par les couleurs chaleureuses du soleil couchant.
Entre le bruit régulier des vagues qui se brisent sur le récif, les odeurs de fleurs de tiaré et de frangipaniers et la douceur de la fin d’après midi, on a envie que le temps s’arrête (mais comme je disais au début du message, le temps ici n’a pas la même valeur…).
Par contre, je me demande si je ne me lasse pas de la couleur de l’eau ici : toutes ces variations de bleu : bleu vert, bleu turquoise, bleu clair, bleu transparent (oui, on va dire que ça existe), bleu glacier, bleu roi, bleu, bleu bleu… ça devient un peu lassant à la fin (Nooon, je plaisante ! C’est magique et à chaque fois un émerveillement !).
Le dernier soir, je suis invité avec 3 autres chercheurs à dîner à la “Gump Station”, la station de recherche américaine.
L’occasion de passer une excellente soirée avec des américains qui nous ont super bien reçus (en remerciement du Barbecue) et régalés. L’occasion aussi de voir que le crédit alloué à la recherche est nettement supérieur aux USA qu’en France, si j’en juge par l’état du bâtiment et des infrastructures.
Et après avoir accueilli les nouveaux volontaires de Planète Urgence qui viennent prendre notre relais, ainsi se termine le congé solidaire.
Prochaine étape : Soirée à Papeete avant de reprendre l’avion, direction…?
…
Les Tuamutus, pour passer quelques jours sur l’atoll de Fakarava ! (oui, quitte à être à l’autre bout du monde, autant en profiter un peu plus…)
Allez Nana (ah oui, ça veut dire “au revoir”… toujours en tahitien),
Le 17 octobre 2009
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